Une remyélinisation corticale précoce a un effet neuroprotecteur dans la sclérose en plaques

Recherche Mis en ligne le 2 avril 2024
Neurone de la rétine

Neurone de la rétine prolongé par un long axone entouré de sa gaine de myéline. Crédit : Annie Cavanagh, Wellcome collection.

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La sclérose en plaques est une maladie hétérogène dont les manifestations varient considérablement en fonction des patients, et dont l’évolution est, en apparence, imprévisible. D’où, l’importance de trouver les facteurs qui déterminent la progression du handicap. Dans une nouvelle étude publiée dans Brain, des chercheurs de l’Institut du Cerveau montrent que chez les patients dont la maladie est débutante et les lésions peu étendues, la remyélinisation spontanée des fibres nerveuses du cortex a un effet neuroprotecteur : elle réduit de moitié le risque d’aggravation des symptômes, cinq années plus tard. Ces résultats seront déterminants pour recruter les patients de manière ciblée lors de futurs essais cliniques — au cours desquels les chercheurs testeront des médicaments favorisant la réparation de la myéline.

La sclérose en plaques (SEP) est une maladie inflammatoire dans laquelle le système immunitaire attaque la myéline, la gaine protectrice des fibres nerveuses. Cette anomalie est à l’origine de lésions plus ou moins étendues dans le cerveau et la moelle épinière, qui sont associées à des troubles moteurs, sensitifs ou cognitifs. En l’absence de traitements capables de cibler les causes de la SEP, des chercheurs de l’Institut du Cerveau s’intéressent à la remyélinisation — la capacité de l’organisme à régénérer spontanément la gaine de myéline — et ses effets sur l’évolution de la maladie.

« Nous étudions la remyélinisation dans le cortex cérébral — aussi appelé substance grise — qui comprend les corps cellulaires des neurones. En effet, plusieurs études indiquent que la remyélinisation est plus étendue et plus complète dans le cortex que dans la substance blanche, composée d’axones, explique la Pr. Benedetta Bodini (AP-HP), neurologue et co-autrice de l’étude. C’est un mécanisme biologique dans lequel nous plaçons beaucoup d’espoirs. Mais lorsque nous voulons comparer le niveau de remyélinisation corticale chez différents patients, ou évaluer l’efficacité de molécules susceptibles de favoriser la réparation de la myéline, nous rencontrons un problème majeur : il est très difficile de voir la myéline avec l’IRM conventionnelle. »

 

Une utilisation innovante de l’imagerie

Pour pallier ce problème, l’équipe utilise une technique d’imagerie quantitative par transfert d’aimantation, ou MTI (pour magnetization tranfer imaging).

« Cette technique n’est pas nouvelle ; mais jusqu’ici elle était principalement employée pour observer la substance blanche — une région du cerveau dans lequel le signal est brouillé par d’autres processus, tels que l’inflammation. Nous sommes les premiers à utiliser le transfert d’aimantation pour étudier la remyélinisation corticale ! Dans ce cadre, cette technique permet de quantifier très précisément la myéline et de suivre l’évolution des lésions chez chaque patient », précise la clinicienne.

Armés de ce nouvel outil, la Pr. Benedetta Bodini et son collègue Andrea Lazzarotto (AP-HP, Sorbonne Université), premier auteur de l’étude, se sont donnés un objectif ambitieux : identifier dans quelles conditions la myéline était susceptible de dégénérer ou de se reconstruire.

« L’un des grands défis de cette recherche est que les patients sont très différents les uns des autres. Même quand ils ont la même forme de SEP et présentent le même nombre de lésions, l’un aura un handicap modéré là où l’autre présentera des symptômes très sévères qui évoluent rapidement. En bref, le nombre et la taille des lésions ne permettent pas de déduire directement le handicap des patients, et vice-versa. Pour essayer de mieux expliquer ces différences, nous avons donc examiné leur dynamique de remyélinisation sur le temps long » précise Andrea Lazzarotto.

 

Les effets de la remyélinisation en question

L’équipe, en collaboration avec le réseau européen MAGNIMS, a recruté 140 patients atteints de sclérose en plaques (37 avec un syndrome cliniquement isolé, 71 avec une forme récurrente-rémittente, 32 avec une forme progressive) et 84 personnes en bonne santé au sein de quatre centres neurologiques européens — Graz, Milan, Paris et Sienne. Chaque participant a reçu un bilan clinique au début de l’étude et après 5 ans, et passé un examen d’imagerie au début de l’inclusion, puis après un an.

Les résultats des chercheurs montrent qu’une remyélinisation corticale s’était produite spontanément chez la moitié des patients, indépendamment de leur âge, de la durée de la maladie ou de la forme de SEP dont ils étaient atteints. Mais surtout, chez les patients dont la maladie était récente et les lésions corticales peu étendues, une remyélinisation importante était associée à une faible neurodégénérescence après un an, et à un risque deux fois moins important de progression du handicap après cinq ans. À l’inverse, les patients qui ne remyélinisaient pas beaucoup allaient moins bien au bout de cinq ans, même sans avoir connu une poussée inflammatoire caractéristique de la maladie.

« Ces nouvelles données indiquent que la remyélinisation corticale a un effet neuroprotecteur, et constitue un mécanisme clé dans la contribution au handicap clinique, affirme le chercheur. Même s’il ne s’agit pas d’un processus biologique optimal — la myéline régénérée n’est pas toujours d’aussi bonne qualité que celle d’origine — il est probablement suffisant pour protéger les axones, au point de retarder l’évolution de la maladie. »

Selon les chercheurs, l’imagerie par transfert d’aimantation pourrait être utilisée dans de futurs essais cliniques pour sélectionner les patients qui pourraient bénéficier au mieux de médicaments remyélinisants. En outre, la MTI est plus facile à utiliser et moins coûteuse que la tomographie par émission de positons (TEP) pour quantifier la myéline.

« Le jour où nous aurons un traitement remyélinisant efficace et sûr, nous saurons qu’il faut l’utiliser dès les premiers symptômes, en même temps que les médicaments immunomodulateurs ou immunosuppresseurs, conclue la Pr. Benedetta Bodini. Le temps, c’est de la myéline ! Chez les patients éligibles, le bénéfice sera potentiellement très important. »

 

Source

Lazzarotto, A. et al. Time is myelin: early cortical myelin repair prevents atrophy and clinical progression in multiple sclerosis. Brain, Mars 2024. DOI : 10.1093/brain/awae024.

Equipes scientifiques

Equipe "La remyélinisation dans la sclérose en plaque : de la biologie à la translation clinique"
Chef d'équipe
Catherine LUBETZKI MD, PhD, PU-PH, Sorbonne Université, AP-HP
Bruno STANKOFF MD, PhD, PU-PH, Sorbonne Université, AP-HP
Réparation Domaine principal : neurosciences moléculaires et cellulaires Domaine secondaire: Neurosciences cliniques et translationnelles L’équipe "La remyélinisation dans la sclérose en plaque : de la biologie à la translation clinique", dirigée par Catherine LUBETZKI & Bruno STANKOFF,  s’intéresse aux mécanismes de réparation de la myéline dans le cerveau et la moelle épinière dans la sclérose en plaques et les maladies démyélinisantes.
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