Sclérose en plaques : une nouvelle étude pointe cinq signes avant-coureurs de la maladie

Recherche Mis en ligne le 6 décembre 2023

Crédit : Nicolas Decat / Institut du Cerveau.

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Et si les mécanismes biologiques à l’origine de la sclérose en plaques étaient enclenchés des années avant le diagnostic clinique ? C’est ce que suggère une équipe de l’Institut du Cerveau dans une nouvelle étude publiée dans la revue Neurology. Les chercheurs montrent qu’à l’échelle d’une population, la fréquence de symptômes tels que la dépression, la constipation et les infections urinaires est associée à un diagnostic de sclérose en plaques cinq années plus tard. Ces résultats dessinent les contours d’une phase prodromique de la maladie ; mais à ce stade, ils ne permettent pas d’envisager le développement d’une technique de dépistage précoce.

La sclérose en plaques (SEP) est une maladie neurologique dans laquelle le système immunitaire attaque la myéline, la gaine protectrice des fibres nerveuses, qui joue un rôle essentiel dans la propagation de l’influx nerveux entre le cerveau et les organes périphériques. En France, 120 000 personnes sont concernées par la SEP, dont la prise en charge s’est considérablement améliorée au cours des dix dernières années. Malheureusement, il n’existe pas encore de traitement curatif à proprement parler, ni de solution thérapeutique pour les 15% de patients atteints d’une forme progressive de la maladie.

« L’une des grandes difficultés de la sclérose en plaques est que nous n’observons pas de correspondance stricte entre la gravité des lésions présentes sur les fibres nerveuses et les symptômes des patients. Cela limite considérablement notre capacité à prédire l’évolution de la maladie, explique la Pr. Céline Louapre (Sorbonne Université, AP-HP), neurologue à l’hôpital Pitié-Salpêtrière et responsable du centre d’investigation clinique de l’Institut du Cerveau. L’enjeu aujourd’hui est de détecter la maladie au plus tôt, bien avant que les lésions soient visibles par IRM, dans l’espoir de retarder au maximum l’apparition du handicap. »

Plusieurs études avaient déjà suggéré que, chez certains patients, certains symptômes subtils étaient présents jusqu’à dix ans avant le diagnostic. Restait à quantifier ce phénomène à l’échelle d’une population dans l’espoir de définir de manière rigoureuse une « phase prodromique » de la sclérose en plaques, c’est-à-dire une période au cours de laquelle la maladie s’installe de manière discrète. En outre, une meilleure connaissance des symptômes avant-coureurs de la SEP pourrait aider les chercheurs à pointer le moment exact où commence le processus inflammatoire à l’origine des lésions dans le système nerveux central.

 

Exploiter des données épidémiologiques massives

Dans ce but, la Pr. Céline Louapre accompagnée de Octave Guinebretière et Thomas Nedelac, chercheurs à l’Institut du Cerveau au sein de l’équipe ARAMIS dirigée par Stanley Durrleman (Inria), ont comparé les données de santé de 20 174 patients avec une sclérose en plaques, 54 790 patients sans sclérose en plaques, et 37 814 patients affectés par deux maladies auto-immunes qui, comme la SEP, touchent principalement les femmes et les jeunes adultes — soit 30 477 patients avec une maladie de Crohn et 7337 avec un lupus.

Grâce aux dossiers médicaux anonymisés issus du Health Improvement Network (THIN) britannique, l’équipe a analysé la trajectoire de santé de ces patients, et plus particulièrement la fréquence de 113 symptômes et maladies courants sur une période de cinq ans avant à cinq ans après le diagnostic. Une période de référence similaire a été utilisée pour les patients contrôles sans maladie auto-immune.

Les chercheurs ont observé que cinq symptômes étaient associés de manière significative avec un diagnostic de sclérose en plaques ultérieur : la dépression, les troubles sexuels, la constipation, la cystite, et les autres infections des voies urinaires. « Cette association était suffisamment robuste au niveau statistique pour que nous puissions affirmer qu’il s’agit de signes cliniques avant-coureurs, probablement liés à des lésions du système nerveux, chez des patients qui recevront plus tard un diagnostic de sclérose en plaques », précise la Pr. Céline Louapre. La surreprésentation de ces symptômes persistait et augmentait d’ailleurs durant les cinq années après le diagnostic.

 

Éclairer la trajectoire de la maladie

Toutefois, ces cinq symptômes apparaissaient également dans la phase prodromique du lupus et de la maladie de Crohn : ils ne sont donc pas spécifiques de la SEP. Et surtout, ils sont extrêmement courants chez les personnes en bonne santé.

« À eux seuls, ces signes ne suffiront pas à poser un diagnostic précoce ; mais ils nous aideront certainement à mieux comprendre les mécanismes de la sclérose en plaques — dont les causes sont multiples — et à reconstituer son histoire naturelle, ajoute la chercheuse. Enfin, ces nouvelles données nous confortent dans l’idée que la maladie commence bien avant l’apparition des symptômes neurologiques classiques. »

Evidemment, seules une infime partie des personnes qui présentent une dépression, des troubles sexuels, une constipation et des infections urinaires recevront un diagnostic de maladie auto-immune quelques années plus tard. Mais chez des populations qui possèdent un risque spécifique — dans certaines formes familiales de sclérose en plaques par exemple — ces signes contribueront à alerter au plus tôt, et peut-être à intervenir au niveau thérapeutique.

 

FINANCEMENT

Cette étude a été financée par le Joint Programming on neurodegenerative diseases (JPND) de l’Union Européenne, le programme Investissements d’avenir, et l’ANR.

 

Source

Guinebretière, O. et al. Association between diseases and symptoms diagnosed in primary care and the subsequent specific risk of multiple sclerosis. Neurology, 6 décembre 2023.

DOI : 10.1212/WNL.0000000000207981.

Equipes scientifiques

Equipe "ARAMIS – Algorithmes, modèles et méthodes pour les images et les signaux du cerveau humain"
Chef d'équipe
Olivier COLLIOT PhD, DR2, CNRS
Stanley DURRLEMAN PhD, DR2, INRIA
Méthodologie et neuroimagerie Domaine principal : Neurosciences cliniques et translationnelles L’équipe ARAMIS, dirigée par Olivier COLLIOT & Stanley DURRLEMAN a pour objectif de construire des modèles numériques des maladies du cerveau, en particulier des pathologies neurodégénératives, à partir de bases de données multimodales issues de patients. Les principales approches utilisées sont l’apprentissage automatique (technique d’intelligence artificielle), la modélisation géométrique et statistique, et la théorie des réseaux complexes.
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