Notre pupille révèle des éléments de notre imagination

Recherche Mis en ligne le 20 avril 2022
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Une collaboration entre des chercheurs australiens (University of New South Wales et Macquarie University) et français (Institut du Cerveau) a découvert que les variations du diamètre de notre pupille révélaient l’intensité sensoriel de notre imagination mentale, comme la luminosité d’une scène imaginée. Ces résultats, publié dans ELife, apportent également la première validation physiologique de l’aphantasie, l’absence de visualisation mentale.

Fermer les yeux et visualiser dans votre tête un paysage, un tableau, un visage… cette faculté, l’imagerie visuelle ou mentale, peut paraître évidente pour nombre d’entre nous.  Elle n’est pourtant pas partagée par tout le monde. On estime qu’environ 3% des individus sont aphantasiques, c’est-à-dire qu’ils ne possèdent pas cette capacité de visualisation mentale.

« L’imagerie visuelle est aujourd’hui souvent déterminée de façon subjective en demandant directement à un participant de décrire sa capacité à visualiser des objets mentalement. Un outil objectif pour accéder à la capacité d’imagerie mentale d’un individu nous manquait. » explique Thomas Andrillon (Inserm), un des auteurs de l’article.

Lorsque nous regardons un objet avec nos yeux, nos pupilles s’adaptent à celui-ci. Leur diamètre varie en fonction de la luminosité extérieure, mais des études ont montré qu’il s’adaptait aussi à l’interprétation d’une image. Ainsi, le diamètre pupillaire est plus faible pour une image en noir et blanc de plage ensoleillée que pour un clair de lune, même lorsque les deux images ont été manipulées pour avoir la même luminance : l’œil se sert du contexte pour se préparer à une plus ou moins grande luminance. D’autres études ont suggéré un lien entre imagination visuelle et diamètre pupillaire.

« Le réflexe pupillaire est une adaptation qui optimise la quantité de lumière qui frappe la rétine« , explique le professeur Joel Pearson de l’UNSW, auteur principal de l’article. « Et bien que l’on sache déjà que les objets imaginés peuvent provoquer des changements dits « endogènes » de la taille de la pupille, nous avons été surpris de constater des changements plus spectaculaires chez les personnes ayant rapporté des images plus vives. Il s’agit vraiment du premier test biologique et objectif de la netteté de l’imagerie. »

Pour explorer ce lien, un groupe de chercheurs australiens et français a mis en place deux séries d’expériences. Dans la première, ils ont présenté à des participants sans trouble de l’imagerie visuelle des séries de formes géométriques variant par leur complexité et leur luminance, c’est-à-dire leur intensité lumineuse. Les sujets devaient ensuite visualiser mentalement ces formes pendant 5 secondes. En parallèle, leurs pupilles étaient enregistrées grâce à deux caméras montées sur des lunettes. Dans un deuxième temps, les chercheurs ont conduit la même étude chez des patients aphantasiques, qui rapportent une capacité à visualiser des images mentales nulle ou extrêmement réduite.

Les résultats montrent que le diamètre pupillaire des sujets témoins réagit à la fois à l’effort cognitif généré par l’imagerie mentale et à la luminance de l’objet visualisé. De plus, la réaction de la pupille à la luminance était prédictive de la qualité subjective de l’image mentale rapportée par les sujets, c’est-à-dire à quel point ils considéraient l’image comme précise dans leurs pensées. Au contraire, les sujets aphantasiques montraient un plus grand diamètre pupillaire pour les formes plus complexes mais aucune modulation du diamètre par la luminance, signe qu’ils parviendraient à maintenir les images dans leur mémoire de travail mais pas sous la forme d’une image visuelle.

« On sait que nos pupilles s’agrandissent lorsque nous effectuons une tâche plus difficile« , explique Lachlan Kay, doctorant au Future Minds Lab de l’Université New South Wales (Sydney, Australie). « Imaginer quatre objets simultanément est plus difficile que d’en imaginer un seul. Les pupilles des personnes atteintes d’aphantasie se dilataient lorsqu’elles imaginaient quatre formes par rapport à une seule, mais ne changeaient pas selon que les formes étaient claires ou sombres. Cela indique que les participants atteints d’aphantasie essayaient effectivement d’imaginer dans cette expérience, mais pas de manière visuelle« .

« Ces résultats sont également très intéressants en ce qui concerne la mémoire et l’aphantasie« , a déclaré Rebecca Keogh, postdoctorante à l’Université Macquarie et co-autrice de l’étude. « Ces résultats mettent en évidence la grande variabilité de l’esprit humain, qui peut souvent rester cachée jusqu’à ce que nous interrogions quelqu’un sur ses expériences personnelles ou que nous inventions de nouveaux moyens de mesurer la cognition. Cela nous rappelle que ce n’est pas parce que je me souviens ou visualise quelque chose d’une certaine manière que tout le monde le fait. »

« Notre méthodologie fournit pour la première fois une quantification objective et simple d’utilisation de l’imagerie mentale. Grâce à elle, il sera possible de tester les capacités d’imagerie mentale à plus grande échelle pour identifier les variabilités d’imagerie mentale et les conséquences sur d’autres fonctions cognitives comme l’attention ou la mémoire » conclut Thomas Andrillon.

Source

The pupillary light response as a physiological index of aphantasia, sensory and phenomenological imagery strength. Kay L, Keogh R, Andrillon T, Pearson J.Elife. 2022 Mar 31