Imagerie mentale visuelle : le cas d’un patient suggère un nouveau réseau cérébral clé

Recherche Mis en ligne le 9 juin 2022

Sur l’IRM du patient sont représentés : en vert la lésion, en rouge le nœud de l’imagerie mentale au niveau du gyrus fusiforme, en bleu le faisceau arqué et en jaune le faisceau longitudinal inférieur.

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Tous les jours, nous faisons appelle à une capacité unique de notre cerveau, l’imagerie mentale visuelle, qui nous permet de visualiser « dans notre tête » des images, des objets ou des personnes. Grâce à un patient atteint d’une lésion particulière du cerveau, le groupe de Paolo Bartolomeo (Inserm) au sein du PICNIC Lab à l’Institut du Cerveau a mis en évidence une région qui pourrait être clé dans la visualisation mentale.

 

Un patient est admis aux urgences après un AVC étendu dans la zone occipito-temporale de l’hémisphère gauche. Bien que sa vie fût sauvée, le patient se réveille avec de multiples déficits : une hémianopie – la perte de la vision du côté droit -, une alexie – une incapacité à lire -, et une incapacité à nommer les couleurs.

 

Ces multiples atteintes et la présence de la lésion dans le lobe temporal gauche poussèrent les cliniciens et chercheurs de l’Institut du Cerveau à évaluer une autre fonction cérébrale : l’imagerie mentale visuelle.

 

Les réseaux cérébraux de l’imagerie mentale

A l’heure actuelle, le modèle prédominant des bases cérébrales de l’imagerie mentale propose que celle-ci engage l’aire visuelle primaire à l’arrière de notre cerveau, qui est aussi impliquée dans le traitement de ce que nous voyons vraiment avec nos yeux. Pourtant des données issues de cas de patients allant à l’encontre de ce dogme se sont accumulées ces vingt dernières années. Dans une récente méta-analyse, l’équipe de Paolo Bartolomeo a suggéré que l’imagerie mentale serait plutôt encodée au niveau des réseaux fronto-pariétaux de l’attention et de la mémoire de travail, ainsi que dans une petite région du gyrus fusiforme du lobe temporal gauche. Le cas de ce nouveau patient à la lésion occipito-temporale gauche était alors l’occasion pour les chercheurs de l’Institut du Cerveau de réexplorer leur hypothèse.

 

Une imagerie mentale visuelle intacte, malgré les lésions

Afin de tester les capacités d’imagerie mentale du patient, les médecins lui ont fait passer une batterie de tests. Ceux-ci consistent en un certain nombre de questions sur l’apparence visuelle des objets : qu’est-ce qui est le plus rouge entre une fraise et une cerise ? Quelle ville est la plus à droite sur la carte de France entre Bordeaux et Strasbourg ? Pour y répondre correctement, le patient devait faire appel à son imagerie mentale et visualiser dans sa tête une fraise, une cerise ou une carte de France. « À notre grande surprise, l’imagerie mentale visuelle de notre patient était bien préservée » explique Paolo Bartolomeo (Inserm), dernier auteur de l’étude. « Une nouvelle question se posait alors : pourquoi n’éprouvait-il aucune difficulté, malgré sa lésion qui aurait du toucher des réseaux important pour exercer cette fonction de notre cerveau. »

 

A mi-chemin des réseaux du langage et sémantique

Grâce à la tractographie IRM, qui permet de visualiser les faisceaux de neurones dans le cerveau – le câblage en quelques sortes -, les chercheurs ont pu identifier quelques éléments clés expliquant pourquoi l’imagerie mentale du patient était intacte malgré sa lésion. Ils ont mis en évidence que le nœud de l’imagerie mentale, localisé au niveau du gyrus fusiforme dans le lobe temporal gauche, avait été épargné par la lésion.

 

L’équipe de scientifiques a ensuite montré que deux faisceaux de connectivité passaient par ce nœud : le faisceau arqué, associé au système du langage, et le faisceau longitudinal inférieur, lié au système sémantique, c’est-à-dire notre connaissance du monde, des objets et des concepts.

 

À cause de sa lésion, le patient ne recevait plus d’information visuelle directe dans son hémisphère gauche. Le nœud de l’imagerie mentale ne recevait donc plus ce type d’information, mais continuait d’être alimenté par le réseau sémantique.

 

« Ces résultats appuient notre hypothèse selon laquelle l’imagerie mentale visuelle proviendrait d’une activation dite « top-down » à partir des informations issues des réseaux du langage et sémantique. Cela va à l’encontre du modèle dominant de l’imagerie mentale, selon lequel les aires visuelles primaires sont nécessaires à la mise en œuvre de cette capacité » conclut Paolo Bartolomeo (Inserm).

 

Source

The connectional anatomy of visual mental imagery: evidence from a patient with left occipito-temporal damage. Hajhajate D, Kaufmann BC, Liu J, Siuda-Krzywicka K, Bartolomeo P. Brain Struct Funct. 2022 May 27

Equipes scientifiques

Equipe "PICNIC- Neuropsychologie et neuroimagerie fonctionnelle"
Chef d'équipe
Paolo BARTOLOMEO MD, PhD, DR2, INSERM
Laurent COHEN MD, PhD, PU-PH, Sorbonne Université, AP-HP
Lionel NACCACHE MD, PhD, PU-PH, Sorbonne Université, AP-HP
Cognition: Pensée créative, raisonnement, sémantique et syntaxe Domaine principal: Cognition Domaine secondaire : Neurosciences cliniques & translationnelles La conscience, l’attention, la perception visuelle, le langage sont des fonctions cognitives complexes qui mettent en jeu différentes aires cérébrales et différents réseaux neuronaux. L’équipe "PICNIC - Neuropsychologie et neuroimagerie fonctionnelle", dirigée par Laurent COHEN, Lionel NACCACHE et Paolo BARTOLOMEO, qui sont tous les trois neurologues, se consacre à l’étude des fonctions cognitives développées de façon exclusive ou prédominante chez l’être humain. L’étude des patients occupe une place centrale dans sa méthode d’approche. Avec les sujets sains comme avec les patients, l’équipe fait appel à des techniques comportementales et d’imagerie cérébrale multimodale de pointe : IRM anatomique et fonctionnelle, EEG, MEG, enregistrements intra-cérébraux.
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