De la perception de soi dans les tendances suicidaires

Recherche Mis en ligne le 30 novembre 2017
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La perception de soi est une chose difficile. Suis-je gentil, jaloux, attentionné ou avare ? Une question que tout le monde s’est posée au moins une fois. Dans le cas des troubles de l’humeur, cette perception est souvent modifiée, et peut-être encore différemment chez les personnes avec des tendances suicidaires. Une étude coordonnée par le Pr Philippe Fossati à l’Institut du Cerveau – ICM tente d’éclaircir ce point.

Les tentatives de suicide surviennent majoritairement dans un contexte particulier : conflits, perte d’emploi, isolement social… contexte qui remet en cause sa perception de soi ou sa place dans la société. La perte de son emploi peut par exemple être liée à une forte dévalorisation de son travail, de son image, de ses compétences. Une perception de soi altérée, des ruminations fréquentes et un mode de pensée autocentré sont souvent associés à des tendances suicidaires mais il n’existe que très peu d’études sur le sujet.

Les individus avec des tendances suicidaires présentent-ils des différences par rapport aux personnes ayant des troubles de l’humeur ? Leur perception d’eux-mêmes est-elle plus négative ? Leur mémoire emmagasine-t-elle préférentiellement les éléments négatifs ?

Pour répondre à ces questions, les chercheurs et cliniciens ont réuni 47 personnes présentant des troubles de l’humeur (trouble dépressif majeur ou trouble bipolaire), dont 20 avec des antécédents de tentative de suicide, et leur ont fait passer une série de tests.

Sur un écran, 60 adjectifs caractérisant la personnalité étaient présentés, 30 positifs, comme généreux ou attentionné, et 30 négatifs, avare par exemple. Dans un premier exercice, les sujets devaient juger si l’adjectif correspondait à l’idée qu’ils ont d’eux-mêmes. Dans un second exercice, ils devaient dire si l’adjectif était socialement souhaitable, d’une manière générale. Par exemple, est-ce que « sympathique » est généralement une caractéristique positive ? Enfin, il était demandé aux sujets, de manière inattendue, de se remémorer le plus d’adjectifs possible en 3 minutes.

Les réponses des sujets ayant des antécédents de tentative de suicide ne diffèrent pas significativement de celles des participants de l’étude, présentant des troubles de l’humeur sans tendances suicidaires. En effet, toutes ces personnes se décrivent plus souvent avec des traits de caractère négatifs que positifs et se remémorent préférentiellement les adjectifs négatifs.

« Les patients atteints de troubles de l’humeur ou ayant des tendances suicidaires sont des populations très hétérogènes, il est donc primordial de prendre des précautions particulières dans nos analyses et de ne pas tirer de schéma trop global », précise Philippe Fossati.

En revanche les chercheurs ont observé une corrélation entre la perception négative de soi et le niveau de dépression, qui lui-même est corrélé aux tendances suicidaires. Ils ont également mis en évidence une corrélation entre le niveau de souffrance psychologique ressenti par les patients, et les tendances suicidaires.

« Une altération de la perception de soi chez les patients dépressifs pourrait être indirectement liée aux tentatives de suicide, via une implication très précoce dans les tendances suicidaires. De nouvelles études sont nécessaires pour creuser ce dernier aspect. » conclut Philippe Fossati

Référence : Self-reference in suicidal behaviour. Jollant F, Lemogne C, Fossati P. Cogn Neuropsychiatry. 2017 Nov 7