La composition du microbiote intestinal pourrait influencer nos prises de décision

Recherche Mis en ligne le 16 mai 2024
Population de bactéries commensales (en rouge) dans un intestin grêle de souris.

Population de bactéries commensales (en rouge) dans un intestin grêle de souris. Crédit : University of Chicago.

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La façon dont nous prenons des décisions dans un contexte social peut être expliquée par des facteurs psychologiques, sociaux, et politiques. Et si d’autres forces étaient à l’œuvre ? Hilke Plassmann et ses collègues de l’Institut du Cerveau et de l’université de Bonn montrent que des changements dans le microbiote intestinal peuvent influencer notre sensibilité à l’injustice, et la façon dont nous traitons les autres. Leurs résultats sont publiés dans la revue PNAS Nexus.

Le microbiote intestinal – c’est-à-dire l’ensemble des bactéries, virus ou levures qui peuplent notre appareil digestif – tient un rôle très important dans notre organisme, bien au-delà de la fonction digestive. Des travaux de recherche récents montrent que sa composition aurait un impact important sur la cognition, le stress, l’anxiété, les symptômes dépressifs et le comportement ; les souris élevées dans un environnement stérile, par exemple, rencontrent des difficultés à interagir avec leurs congénères.

Toutefois, la majorité de ces recherches sont menées chez l’animal et ne peuvent être extrapolées à l’humain. Elles ne permettent pas non plus de comprendre quels mécanismes neuronaux, immunitaires où hormonaux sont à l’œuvre dans ce dialogue fascinant entre cerveau et intestin : les chercheurs observent un lien entre la composition du microbiote et les compétences sociales, mais ne savent pas exactement comment l’un contrôle l’autre.

« Les données disponibles suggèrent que l’écosystème intestinal communique avec le système nerveux central grâce à différents canaux, dont le nerf vague, explique Hilke Plassmann (Sorbonne Université, Insead), responsable de l’équipe Contrôle cognitif – intéroception – attention à l’Institut du Cerveau, et professeure à l’Insead. Il utilise aussi des signaux biochimiques qui déclenchent la libération de neurotransmetteurs, tels que la dopamine et la sérotonine, qui sont essentiels pour le bon fonctionnement du cerveau. »

 

Étudier la punition altruiste

Pour déterminer si la composition du microbiote intestinal humain était capable d’influencer la prise de décision dans un contexte social, la chercheuse et ses collègues ont eu recours à des tests comportementaux — dont le célèbre « jeu de l’ultimatum » qui consiste à attribuer une somme d’argent à un joueur ; celui-ci doit ensuite la partager (équitablement ou non) avec un second joueur, qui est libre de décliner l’offre s’il la juge insuffisante. Auquel cas, aucun des joueurs ne reçoit d’argent.

Dans ce contexte, refuser la somme d’argent équivaut à ce que l’on appelle une « punition altruiste », c’est-à-dire le besoin de sanctionner autrui en présence d’une situation perçue comme inégalitaire : pour le second joueur, rétablir une situation d’égalité (personne ne reçoit d’argent) est parfois plus important que d’obtenir une récompense, aussi petite soit-elle. Le jeu de l’ultimatum permet donc de mesurer, expérimentalement, la sensibilité à l’injustice.

Pour exploiter pleinement cet effet, les chercheurs ont recruté 101 participants. Pendant sept semaines, 51 d’entre eux ont pris des suppléments alimentaires sous forme de probiotiques (des bactéries bénéfiques) et de prébiotiques (des nutriments favorisant la colonisation des bactéries dans l’intestin), tandis que 50 autres recevaient un placebo. Enfin, tous ont participé au jeu de l’ultimatum lors de deux sessions, au début et à la fin de la période de supplémentation.

 

Des bactéries aux commandes ?

Les résultats de l’étude indiquent que le groupe qui avait reçu les suppléments était beaucoup plus enclin à rejeter les offres inégalitaires à l’issue des sept semaines, même lorsque le partage de la somme d’argent n’était que légèrement déséquilibré. À l’inverse, le groupe placebo s’est comporté de la même façon lors de la première et de la seconde session de test.

Mais surtout, le changement de comportement du groupe supplémenté était accompagné de modifications biologiques : les participants qui, au début de l’étude, avaient le plus grand déséquilibre entre les deux types de bactéries qui dominent la flore intestinale (les Firmicutes et Bactéroïdètes), ont vu la composition de leur microbiote évoluer davantage avec la prise de suppléments. En outre, ce sont aussi ceux-là qui ont montré la plus grande sensibilité à l’injustice lors des tests.

Les chercheurs ont également observé chez eux une forte diminution des niveaux de tyrosine, un précurseur de la dopamine, après les sept semaines d’intervention. Pour la première fois, un mécanisme causal se dessine : la composition du microbiote intestinal pourrait influencer le comportement social par l’intermédiaire des précurseurs de la dopamine — un neurotransmetteur qui intervient dans les mécanismes cérébraux de la récompense.

« Il est trop tôt pour affirmer que les bactéries intestinales sont capables de nous rendre moins rationnels et plus réceptifs aux considérations sociales, conclue Hilke Plassmann. Toutefois, ces résultats précisent quelles voies biologiques nous devons regarder. La perspective de moduler le microbiote grâce à l’alimentation pour influencer positivement la prise de décision est très enthousiasmante ! Nous devons explorer cette piste avec le plus grand soin. »

 

Financement

Cette étude a été financée par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR), l’Initiative Économie de la santé de l’Alliance Sorbonne Université, le Ministère fédéral de l’Éducation et de la Recherche allemand, et le Conseil Européen de la Recherche (ERC).

Source

Falkenstein, M. et al. Impact of the Gut Microbiome Composition on Social Decision-Making. PNAS Nexus, Mai 2024. DOI : 10.1093/pnasnexus/pgae166.