Comment nos goûts influencent notre créativité

Recherche Mis en ligne le 14 août 2023
Notre créativité
Ouvrir / fermer le sommaire

Plus nous aimons nos idées, plus nous leur donnons forme rapidement. Mais pour être créatif, il faut avoir un penchant pour les idées qui sortent de l’ordinaire… C’est ce que montrent Alizée Lopez-Persem et Emmanuelle Volle, chercheuses Inserm à l’Institut du Cerveau, dans une nouvelle étude parue dans American Psychologist. Via une étude comportementale et un modèle computationnel qui reproduit les différentes composantes du processus créatif, les chercheurs décrivent comment les préférences individuelles influencent la vitesse d’émergence de nouvelles idées, ainsi que leur degré de créativité. Ces préférences déterminent également quelles idées nous décidons d’exploiter et de communiquer aux autres.

Qu’est-ce qui nous pousse à développer de nouvelles idées, plutôt qu’à nous contenter de méthodes et processus familiers ? Qu’est-ce qui déclenche en nous le désir d’innover, au risque de sacrifier temps, énergie et réputation pour un échec retentissant ?  La créativité repose sur des mécanismes complexes que nous commençons tout juste à appréhender et dans laquelle la motivation joue un rôle central. Mais le fait de poursuivre un but ne suffit pas à expliquer pourquoi nous favorisons certaines idées plutôt que d’autres, et si ce choix bénéficie à la réussite de nos actions.

« La créativité peut être définie comme la capacité à produire des idées originales et pertinentes dans un contexte donné, pour résoudre un problème ou améliorer une situation. C’est une compétence clé pour s’adapter au changement, mais aussi pour le provoquer, explique Alizée Lopez-Persem, chercheuse en neurosciences cognitives. Notre équipe s’intéresse aux mécanismes cognitifs qui permettent de produire des idées créatives, dans l’espoir d’apprendre à les utiliser à bon escient. »

Les chercheurs s’accordent à dire que le processus créatif est constitué de deux phases successives : la génération de nouvelles idées, puis l’évaluation de leur potentiel. Mais jusqu’ici ils ignoraient comment se déroule cette évaluation, et ce qui nous pousse à retenir certaines idées plutôt que d’autres. « Nous avons besoin d’attribuer une valeur à nos idées pour pouvoir sélectionner les meilleures, précise Alizée Lopez-Persem. Cependant, rien n’indique que cette opération correspond à une évaluation rationnelle et objective dans laquelle nous essayons d’inhiber nos biais cognitifs pour faire le meilleur choix possible. Nous voulions donc savoir comment cette valeur est assignée, et si elle est dépendante de caractéristiques propres à chacun. »

Objectiver le mouvement intérieur de l’éclosion des idées

Modéliser le processus créatif comme une suite d’opérations qui font intervenir des réseaux cérébraux distincts ne correspond pas vraiment à une conception populaire de la créativité, que l’on représente généralement comme un élan qui nous saisit, nous transporte et nous dépasse. L’équipe d’Emmanuelle Volle estime pourtant que la créativité possède trois dimensions fondamentales que l’on peut modéliser grâce à des outils mathématiques : l’exploration, qui repose sur les connaissances personnelles et permet d’imaginer des options possibles ; l’évaluation, qui consiste à jauger les qualités d’une idée ; et la sélection, qui permet de choisir l’idée qui sera verbalisée.

Pour comprendre les relations réciproques entre ces trois dimensions, les chercheurs les ont reproduites dans un modèle computationnel – qu’ils ont ensuite confronté au comportement réel d’individus recrutés pour l’étude. Via la plateforme PRISME de l’Institut du Cerveau, 71 participants ont été invités à passer des tests d’association libre, qui consistent à apparier des mots de la manière la plus audacieuse possible. Ils devaient ensuite évaluer à quel point ils aimaient ces associations d’idées, et si elles leur semblaient pertinentes et originales.

« Nos résultats indiquent que l’évaluation subjective des idées joue un rôle important dans la créativité », affirme Emmanuelle Volle, neurologue. « Nous avons observé une relation entre la vitesse de production de nouvelles idées et le niveau d’appréciation de ces idées par les participants. Autrement dit, plus on aime l’idée que l’on s’apprête à formuler, plus on la propose rapidement. Imaginons par exemple un cuisinier qui s’apprête à réaliser une sauce : plus il est séduit par l’accord de saveurs qu’il a en tête, plus vite il se jettera sur les ingrédients !  Notre autre découverte, c’est que cette appréciation repose sur la combinaison de deux critères subjectifs : l’originalité et la pertinence. »

 

Quelles préférences individuelles favorisent la créativité ?

L’équipe montre que l’importance donnée à ces deux critères varie selon les individus. « Certains favorisent l’originalité d’une idée par rapport à sa pertinence ; chez d’autres, c’est l’inverse. Tout dépend de l’expérience, de la personnalité et probablement de l’environnement, ajoute la chercheuse. Or, préférer soit l’originalité, soit la pertinence a un rôle dans la pensée créative : nous avons montré que les individus qui ont une inclination pour les idées originales proposaient des concepts plus inventifs. »

Enfin, le modèle conçu par l’équipe a permis de prédire la rapidité et la qualité des propositions créatives des participants, à partir de leurs préférences mesurées dans une tâche indépendante. Ces résultats mettent en évidence le caractère mécanique de l’élan créatif. Ils dessinent aussi la possibilité, à terme, de décrire précisément les mécanismes de la créativité sur le plan neurocomputationnel, et de les corréler à leur substrat neuronal… mettant à mal le stéréotype selon laquelle la pensée créative est un procédé mystérieux sur laquelle nous n’avons aucune prise.

« Dans le futur, nous espérons définir différents profils de créativité, à mettre en relation avec le domaine d’activité des personnes. A-t-on des préférences créatives différentes si on est architecte, ingénieure logiciel, illustrateur, technicienne ? renchérit Alizée Lopez-Persem. Quels environnements favorisent la créativité, et lesquels l’inhibent ? Enfin, pourrait-on modifier, rééduquer notre profil créatif via des exercices cognitifs pour correspondre à des ambitions ou des besoins personnels ? Toutes ces questions restent ouvertes pour le moment, mais nous avons la ferme intention d’y répondre. »

Source

Lopez-Persem, A. et al., How subjective idea valuation energizes and guides creative idea generation, American Psychologist, 14 août 2023. https://doi.org/10.1037/amp0001165

 

FINANCEMENT

Cette étude a été réalisée grâce au financement de l’Agence Nationale de la Recherche, du programme Investissements d’avenir, de la bourse post-doctorale Becas-Chile, la Fondation des Treilles, la Région Ile-de-France, et le programme Horizon 2020 Marie Skłodowska-Curie.

Equipes scientifiques

Equipe "FRONTLAB: Fonctions et dysfonctions de systèmes frontaux"
Chef d'équipe
Richard LEVY MD, PhD, PU-PH, Sorbonne université, AP-HP
Connectivité: les réseaux parieto-frontaux, temporaux et sous corticofrontaux Domaine principal: Cognition Domaine secondaire: Neurosciences cliniques et translationnelles L’équipe dirigée par Richard LEVY a pour but mieux comprendre le rôle et l’organisation du cortex préfrontal dans le contrôle, l’activation et l’inhibition des comportements volontaires dirigés et son effet modulateur sur la pensée créative et comment il interagit structurellement et fonctionnellement avec les autres régions cérébrales. Nouveau site web : https://sites.google.com/view/frontlab-icm/
Lire la suite