Bénéfice des psychédéliques dans le trouble obsessionnel compulsif :

en quête de nouvelles preuves

Recherche Mis en ligne le 6 octobre 2023
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Au cours des dernières années, l’intérêt pour les substances psychédéliques et leur bénéfice possible dans le traitement des maladies psychiatriques a été fortement ravivé. Les attentes sont fortes, en particulier dans le trouble obsessionnel compulsif où les options thérapeutiques des patients sont encore limitées. À l’Institut du Cerveau, Anne Buot, Luc Mallet (AP-HP) et leurs collègues collectent les preuves qui pourraient ouvrir la voie à des études cliniques de grande ampleur ; ils montrent dans une nouvelle étude, publiée dans Scientific Reports, que le LSD et la psilocybine ont un fort potentiel pour soulager durablement les symptômes des patients.

Pensées intrusives, répétitions involontaires de gestes et de comportements indésirables assortis d’une forte anxiété… Le trouble obsessionnel compulsif (TOC) affecte environ 2% de la population. Il peut être très handicapant et constitue un vecteur d’isolement, puisque l’attention des patients est portée de manière disproportionnée sur des obsessions, au détriment des relations sociales, du travail et des loisirs.

Le traitement consiste principalement en une thérapie cognitive et comportementale (TCC) qui permet au patient de réadapter ses schémas de pensée, combinée à la prise d’antidépresseurs. Malheureusement, ses effets sont longs à apparaître, et 30 à 40% des patients n’y répondent pas du tout.

« Dans ce contexte, une option proposée en recherche clinique dans les années 70 refait aujourd’hui surface : l’utilisation de psychédéliques, une famille de psychotropes, explique Anne Buot, post-doctorante en neurosciences cognitives. Mais parce que ces substances sont interdites dans de nombreux pays, les études cliniques sont difficiles à mettre en place et nous ne possédons pas encore de données robustes sur leur efficacité. »

Or, pour organiser des études randomisées en double-aveugle, le standard de qualité en recherche clinique, encore faut-il disposer de données préliminaires encourageantes… et ce, rapidement. L’incertitude sur l’efficacité des psychédéliques, assortie de possibles emballements médiatiques, risque d’encourager les abus récréatifs — ou les usages peu maitrisés chez des patients vulnérables, sans suivi médical. Enfin, il y a le risque de détourner des patients d’interventions psychothérapeutiques pourtant efficaces.

 

Coup de projecteur sur l’expérience individuelle

La prise de psychédéliques induit un état de conscience modifié qui conduit l’utilisateur à percevoir le monde de manière radicalement différente pendant quelques heures. Cette expérience peut être vécue comme bouleversante, au point de créer un sentiment de rupture avec des états émotionnels passés et de favoriser l’émergence de nouveaux schémas de pensée.

Des études précédentes suggèrent que les effets aigus des psychédéliques, présents dès la première prise, contrastent avec les effets retardés des traitements pris en continu, comme les antidépresseurs. « Cependant, nous ne savons pas s’il existe un lien entre l’expérience subjective des utilisateurs et des effets thérapeutiques réels », précise Anne Buot.

Parmi elles, on trouve le composé synthétique LSD, et la psilocybine, issue de champignons hallucinogènes. « Ils agissent entre autres sur certains récepteurs de la sérotonine, précise Luc Mallet, psychiatre. Hélas, même chez l’animal, nous ne disposons pas de données suffisantes pour prédire leur efficacité dans le TOC. »

Pour accroitre leurs connaissances, les chercheurs ont résolu d’analyser, de manière rétrospective, l’expérience des personnes qui avaient consommé ces substances par le passé. Le but ? Comprendre si elles avaient perçu une amélioration de leurs symptômes après une prise de LSD ou de psilocybine, si cet effet était durable, et s’il pouvait être prédit à partir de différentes facteurs. L’expérience vécue des patients est en effet inestimable, et en l’absence de données cliniques objectives, elle est décisive pour évaluer le potentiel thérapeutique des psychédéliques et orienter la recherche.

 

Une efficacité qui se dessine en creux

« Nous avons recruté, via un questionnaire en ligne, 174 personnes qui présentaient des symptômes de TOC et qui avaient consommé ponctuellement ou régulièrement des psychédéliques. Nous les avons interrogées sur leur santé mentale et sur les traitements suivis — en plus de leurs caractéristiques sociodémographiques, détaille Anne Buot. Elles devaient ensuite rapporter le contexte dans lequel elles avaient pris ces substances, la dose absorbée, la nature de leur expérience psychédélique et les effets perçus sur les symptômes du TOC. »

Parmi les effets rapportés par les participants, une dissipation des pensées obsessionnelles et du besoin de s’engager dans des rituels, une diminution de l’anxiété et des comportements d’évitement, ou encore une meilleure acceptation du TOC. « 30% des participants ont rapporté que ces effets positifs avaient duré plus de trois mois, ce qui est très encourageant, ajoute Luc Mallet. Enfin, nous avons observé que la dose de LSD ou de psilocybine absorbée était positivement corrélée à l’intensité de l’expérience psychédélique et à son caractère agréable. »

Ces résultats encourageants doivent cependant être interprétés avec précaution. En effet, l’évaluation subjective des effets thérapeutiques des psychédéliques est susceptible d’être orientée par de nombreux biais, dont les croyances des participants à l’étude.

« La population que nous avons étudiée a généralement une attitude très positive et enthousiaste à l’égard de ces substances, parfois indépendamment de leur effet thérapeutique. De plus, nombre des participants sont dans des situations d’impasse thérapeutique et attendent beaucoup du LSD ou de la psilocybine pour améliorer leur vie. Cela peut orienter considérablement leur témoignage », renchérit le psychiatre.

 

Vers des connaissances robustes et la définition de bonnes pratiques

Ce biais est renforcé par la symbolique transformatrice de l’expérience psychédélique elle-même. Certaines personnes ressentent à cette occasion un sentiment d’euphorie, d’extase, ou de connexion avec l’univers qui contraste fortement avec leur expérience ordinaire du monde, et les encourage à le percevoir avec un œil neuf. « Comprendre à quel point la nature même de l’expérience psychédélique — fortement influencée par l’histoire des personnes, leur culture et leur imaginaire – affecte les effets thérapeutiques sera essentiel, conclut Anne Buot. Pour cela, nous aurons besoin d’approches complémentaires, en ethnographie et en psychologie par exemple. »

Pour tirer tout le bénéfice de nouveaux traitements potentiels et fixer de bonnes pratiques d’usage, il faudra certes multiplier les études cliniques rigoureuses, mais aussi comprendre sur quels mécanismes biologiques reposent les effets à long terme des substances psychédéliques. Les chercheurs estiment qu’elles pourraient augmenter la neuroplasticité en favorisant le remodelage des connexions synaptiques. Mais en cette matière, tout reste à découvrir.

Source

Buot, A. et al. Improvement in OCD symptoms associated with serotoninergic psychedelics: a retrospective online survey. Scientific reports, 17 août 2023. DOI : 10.1038/s41598-023-39812-0.

Equipes scientifiques

Equipe "Neurophysiologie des comportements répétitifs"
Chef d'équipe
Eric BURGUIERE PhD, CR1, CNRS
Régulation des comportements, Circuits cortico - ganglions de la base, DBS/Optogénétique Domaine principal : Neurophysiologie Domaine secondaire : Cognition L’équipe d’Eric Burguière s’intéresse aux mécanismes neuro-fonctionnels qui sont à la base des comportements répétitifs normaux et pathologiques. L’objectif principal étant d’identifier les dynamiques neurophysiologiques qui sous-tendent l’acquisition et la régulation de ces comportements.
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