Améliorer la perception visuelle par stimulation cérébrale non-invasive

Recherche Mis en ligne le 10 mai 2021
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La stimulation cérébrale permettrait-elle d’améliorer certaines de nos fonctions cognitives ? Le groupe d’Antoni Valero-Cabré (CNRS) au sein du Frontlab à l’Institut du Cerveau travaille sur cette question depuis plus d’une dizaine d’année. Leurs travaux récents montrent une amélioration de la perception visuelle consciente après stimulation chez des sujets sains, ouvrant des perspectives pour les patients dont cette fonction est altérée, après un AVC notamment.

L’attention et la perception visuelles, des processus cognitifs qui nous permettent de sélectionner et d’être conscient des informations importantes parmi toutes celles captées par nos sens, repose sur un dialogue entre plusieurs régions de notre cerveau formant un réseau complexe. D’un point de vue anatomique, ce réseau est très bien connu, cependant nous en savons beaucoup moins sur les caractéristiques de l’activité électrique neuronale qui au sein de ces régions nous permettent de diriger notre attention et potentialiser nos capacités visuelles. Est-il possible d’enregistrer et manipuler l’activité de certaines zones du réseau de l’attention visuelle pour booster cette capacité ? Si oui, comment le faire, en étant le plus proche du code utilisé par les réseaux du cerveau pour engager ces fonctions ? Ce sont quelques-unes des questions que se pose au sein du Frontlab, le groupe d’Antoni Valero-Cabré, directeur de recherche CNRS au sein du Frontlab de l’Institut du Cerveau.

Pour moduler l’activité du cerveau, il est essentiel de comprendre comment celui-ci est organisé, quels réseaux met-il en jeu et quel type d’activité et quels mécanismes bioélectriques permettent de faire circuler des informations pour diriger l’attention spatiale et moduler la perception visuelle consciente. Depuis presque une décennie, les travaux de cette l’équipe de l’Institut du Cerveau utilisent la stimulation cérébrale non invasive pour mettre en évidence le rôle des oscillations neurales, c’est à dire des fluctuations électriques synchrones à une fréquence donnée, développées par des circuits de neurones des réseaux frontaux (à l’avant du cerveau), dans l’orientation de l’attention et la conscience visuelle.

Dans deux études récentes, les chercheurs ont combiné la stimulation magnétique transcrânienne (TMS), qui permet de moduler l’activité du cerveau de manière focalisée, appliquée à une fréquence de 30 Hz au niveau frontal droit, à des enregistrements électroencéphalographiques (EEG) mesurant l’activité électrique du cerveau au cours de l’expérience.

« L’objectif en enregistrant l’activité du cerveau pendant la stimulation était de montrer que celle-ci entraine bien une activité similaire à celle habituelle dans le cerveau lors des processus d’orientation de l’attention visuelle et que cette modulation améliore la perception de cibles à faible contraste. C’est ce que nous avons pu observer ! » explique Chloé Stengel, postdoctorante au Frontlab et autrice de deux de ces études réalisées pendant sa thèse.

L’équipe montre de plus que la modulation à 30 Hz n’est pas uniquement présente dans la région frontale directement stimulée, mais entraine une synchronisation à la même fréquence de tout le réseau fronto-pariétal de l’attention de l’hémisphère droit du cerveau. Ces résultats apportent la preuve du rôle causal des oscillations à 30 Hz sur la modulation de l’activité du réseau fronto-pariétal de l’attention et l’amélioration de la perception visuelle chez les sujets sains. Ils ouvrent des perspectives pour des applications cliniques, en particulier chez les patients atteints par un AVC dans le cortex visuel (lobe occipital, à l’arrière du cerveau) et devenus hémianopes, c’est-à-dire ayant perdu la vision consciente sur une partie de leur champ visuel.

En collaboration avec le Dr. Alexia Potet et le Prof. Pascale Pradat-Diehl, du service de Rééducation de la Pitié-Salpêtrière AP-HP et l’aide de Véronique Barreau, orthoptiste et étudiante de Master à Sorbonne Université, les chercheurs ont lancé l’essai HEMIANOTACS (financé par le programme NeuroCatalyst, IHU-Institut du Cerveau), chez les patients ayant souffert d’un AVC et de troubles de la vision consciente. Afin d’obtenir une preuve de concept pré-thérapeutique, des patients qui sont en cours de recrutement depuis décembre 2020, reçoivent différents patterns de stimulation électrique transcrânienne par courant alternatif (tACS), une technique de modulation cérébrale plus simple d’utilisation et moins coûteuse que la stimulation magnétique, donc plus accessible. En parallèle, leur activité cérébrale est mesurée et suivie par EEG, séquences de neuro-imagerie par résonance magnétique et une batterie de tests cognitifs attentionnels et de périmétrie visuelle.

« Notre hypothèse est que cette stimulation pourrait permettre de mieux synchroniser les réseaux de l’attention visuelle et permettre aux patients de récupérer une partie de leur vision consciente. Si les résultats sont positifs, cette technique pourrait à terme faire partie de la prise en charge thérapeutique de certains patients post-AVC. » conclut Antoni Valero-Cabré.

Source

Stengel C, Vernet M. Amengual J, Valero-Cabré A. Causal modulation of right hemisphere fronto-parietal phase synchrony with Transcranial Magnetic Stimulation during a conscious visual detection task. Scientific Reports. 2021 Feb 15;11(1):3807.

Vernet, M, Stengel C, Quentin, R, Amengual, J. Valero-Cabré A. Entrainment of local synchrony reveals a causal role of frontal oscillations in visual consciousness. Scientific Reports 2019 9(1):14510