Comment explorons-nous nos connaissances pour être créatifs ?

Recherche Mis en ligne le 29 juin 2022
COMMENT EXPLORONS-NOUS NOS CONNAISSANCES POUR ÊTRE CRÉATIFS ?
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Trouver une idée créative nécessite de faire appel à toutes nos connaissances antérieures. Mais par quel chemin cela s’opère-t-il dans notre cerveau ? Le groupe d’Emmanuelle Volle (Inserm) au sein du Frontlab de l’Institut du Cerveau, en collaboration avec les Universités de Graz (Autriche) et de Warwick (Royaume-Uni), et l’Israël Institute of Technology, a identifié deux processus de recherche en  mémoire sémantique impliqués dans la créativité.  

 

Être créatif cela ne sort pas de nulle part. Pourtant, la naissance d’une idée créative dans notre cerveau reste un phénomène encore inconnu. Les théories actuelles proposent qu’elle repose notamment sur l’organisation de nos connaissances stockées dans la mémoire sémantique et la façon dont nous y recherchons des concepts. « Que se passe-t-il réellement lorsque nous cherchons une nouvelle idée ? Jusqu’à présent, on ne connaissait pas les étapes qui nous permettent de naviguer dans notre mémoire sémantique et d’être créatifs » explique Marcela Ovando-Telez, postdoctorante au Frontlab et première autrice de l’étude.

 

Mémoire sémantique et créativité

La mémoire sémantique est organisée comme un réseau d’associations d’objets, de concepts reliés entre eux plus ou moins fortement. Par exemple, le mot « Pomme » va être fortement connecté l’ensemble plus large des « Fruits », mais va aussi l’être aux concepts de « sucré », de « végétal » ou encore à des mots plus éloignés comme les « contes » (si vous avez lu Blanche-Neige). C’est l’ensemble de ses concepts, stockés dans notre mémoire sémantique, qui nous permettent de donner du sens au monde.

 

La créativité est intimement liée à la structure de ce réseau et la façon dont nous y recherchons des concepts, qui est liée aux processus de contrôle exécutif. Si les associations sémantiques sont organisées de telle façon à établir facilement des liens entre des objets éloignés, il est ainsi plus facile de générer des idées originales.

 

Les composantes du processus de recherche en mémoire sémantique : clustering et switching

Afin de comprendre comment nous naviguons le long de ce réseau d’associations sémantiques pour y dénicher des pensées créatives, le groupe d’Emmanuelle Volle (Inserm) et leurs collaborateurs ont construit une tâche d’association libre d’idées qui consiste à donner un mot à un participant et de lui demander tous les mots qui lui vient à l’esprit en réponse au mot proposé. « La spécificité ici était que les mots étaient polysémiques, c’est-à-dire qu’ils avaient plusieurs sens possibles », précise Emmanuelle Volle (Inserm), dernière autrice de l’étude. « Cette ambiguïté a pour conséquence d’activer plusieurs sens différents, ce qui nous a permis de distinguer les réponses des sujets selon leur sens, et ainsi identifier deux composantes en interaction au cours du processus de recherche en mémoire : le clustering et le switching »

 

Qu’est-ce que le clustering et le switching ? En prenant l’exemple d’une tâche de génération de mots portant sur la catégorie « Animaux », le clustering consisterait à lister sccessivement le plus grand nombre de noms d’une sous-catégorie d’animaux comme les oiseaux, tandis que le switching concernerait le fait de passer d’une sous-catégorie à l’autre, des oiseaux aux amphibiens ou aux mammifères.

La tâche développée par le groupe de scientifiques contenait par exemple le mot « Rayon », qui peut avoir plusieurs sens : les rayons du soleil, les rayons du supermarché ou encore les rayons d’une roue de vélo. Ainsi, si un participant propose à la suite des mots associés à « Rayon » en lien avec la météo, il adopte une exploration de type clustering, tandis que s’il alterne entre des mots associés à la météo ou au supermarché, son exploration est de type switching.

 

Les chercheuses et chercheurs ont combiné cette tâche d’association à toute une série d’autres tests mesurant la créativité, le jugement des associations sémantiques ou encore le contrôle exécutif (i. e : l’inhibition, la mémoire de travail…). Grâce à ces données, ils ont pu reconstruire la structure du réseau sémantique de chaque participant et explorer la relation entre les deux composant de recherche en mémoire, la capacité créative, l’organisation de la mémoire sémantique et la capacité de contrôle exécutif. Enfin, des acquisitions IRM d’imagerie fonctionnelle leur ont permis d’en comprendre les corrélats neuronaux.

 

Créativité, recherche en mémoire et contrôle cognitif

Le premier résultat obtenu par l’équipe est le clustering et le switching sont bien associés à la créativité, mais différemment. Le clustering est lié à la pensée divergente, c’est-à-dire la génération libre d’idées, tandis que le switching est lié à la capacité à établir des combiner des associations distantes entre des concepts. En outre, la composante the switching était également liée à l’organisation des concepts en mémoire et aux capacités de contrôle exécutif.

 

Les chercheuses et chercheurs montrent dans un deuxième temps que le clustering comme le switching peuvent être prédits à partir de la connectivité fonctionnelle du cerveau des participants. Le clustering est prédit par un profil de connectivité impliquant les réseaux cérébraux liés à l’attention et au contrôle exécutif, ce qui suggère que le fait de persister sur une même catégorie sémantique — tous les noms de mammifères qui vous viennent à l’esprit par exemple — fait appel à des processus attentionnels et contribue à la génération libre d’idées plus créatives. Le switching en revanche, est prédit par la connectivité entre plusieurs réseaux impliquant majoritairement le réseau par défaut et le réseau de contrôle. Cette connectivité permettrait de guider la recherche d’idées au sein de la mémoire sémantique et d’explorer des associations distantes dans ce réseau.

 

Dans leur ensemble, ces résultats montrent comment les alternances entre la recherche exploratoire et l’attention focalisée favorisent la créativité, et fournissent de nouvelles informations sur les corrélats neurocognitifs de la recherche en mémoire liés à la cognition créative.

 

Source

An investigation of the cognitive and neural correlates of semantic memory search related to creative ability.Ovando-Tellez M, Benedek M, Kenett YN, Hills T, Bouanane S, Bernard M, Belo J, Bieth T, Volle E. Commun Biol. 2022 Jun 16

 

Equipes scientifiques

Equipe "FRONTLAB: Fonctions et dysfonctions de systèmes frontaux"
Chef d'équipe
Richard LEVY MD, PhD, PU-PH, Sorbonne université, AP-HP
Connectivité: les réseaux parieto-frontaux, temporaux et sous corticofrontaux Domaine principal: Cognition Domaine secondaire: Neurosciences cliniques et translationnelles L’équipe dirigée par Richard LEVY a pour but mieux comprendre le rôle et l’organisation du cortex préfrontal dans le contrôle, l’activation et l’inhibition des comportements volontaires dirigés et son effet modulateur sur la pensée créative et comment il interagit structurellement et fonctionnellement avec les autres régions cérébrales. Nouveau site web : https://sites.google.com/view/frontlab-icm/
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